Rose est née en février 2014, elle est scolarisée actuellement en MS dans une petite école maternelle rurale.

Lorsqu’elle était en PS, l’enseignante avait demandé à la maman de prendre rendez-vous avec moi, psychologue rattachée à l’école car Rose frappait et poussait les autres enfants, le langage n’était pas développé mais elle comptait en anglais et en allemand. Elle ne comprenait pas ce qui lui était demandé en classe. Malgré l’aide apportée durant l’année de PS par l’enseignante, Rose montrait un retard très important dans tous les domaines : psychomotricité, langage, communication, relation aux autres…

Lors de l’entretien qui a lieu en juin de la petite section, j’observe que Rose puise dans le sac de sa mère pour en retirer le smartphone et l’allume. Sa mère ne tente pas de lui reprendre car elle redoute une crise terrible. Je pose alors des questions sur le quotidien de Rose :

– à 18 mois, la maman achète une tablette à Rose et depuis cette date elle regarde plusieurs heures par jour des vidéos sur YouTube (dessins animés, musique) sinon « elle pique des crises »

– depuis ses 18 mois, au réveil, Rose boit un biberon de chocolat et regarde des vidéos sur le téléphone

– la télévision est toujours allumée dans le salon

– Rose ne s’endort jamais avant 23h, on ne lui lit pas d’histoire et elle dort avec ses parents à cause de ses terreurs nocturnes : « on dirait qu’elle voit le diable… c’est peut-être à cause de YouTube ? Je ne sais pas ce qu’elle regarde… »

– la maman ne sort jamais Rose à l’extérieur pour se promener et ne joue pas avec elle…

– le papa, d’après la mère, ne supporte pas le désordre et range sans arrêt les jouets que Rose sort de son coffre à jouets

Devant le retard global de Rose et la situation de surexposition précoce et excessive aux écrans décrite par la maman, je préconise un arrêt total du téléphone et de la tablette pour Rose et j’explique qu’il faut remplacer ces temps d’écrans par des jeux, des promenades, des lectures de petits livres… J’explique le lien entre le retard du langage, les difficultés constatées à l’école et les écrans qui empêchent Rose d’être stimulée normalement et donc de se développer comme les autres enfants du même âge. Je n’arrive pas à convaincre la maman de Rose qui se désespère juste des listes d’attente chez les orthophonistes et me dit que la limitation des écrans pour Rose ne sera de toute façon pas possible car les grands-parents vivent à la maison et regardent la télévision toute la journée. De plus, si elle empêche Rose de prendre son téléphone à elle il y aura toujours quelqu’un pour lui en donner un…

L’enseignante me dira par la suite que la mère de Rose ne souhaite plus me revoir et attend juste un rendez-vous chez un orthophoniste. Quinze jours plus tard, une orthophoniste me contacte car elle vient de faire un bilan : pas de langage spontané, écholalie, compréhension très faible, lexique très pauvre, fait des petites phrases de 2 mots. Le retard est très important. La mère de Rose est très angoissée suite à ce bilan. La rééducation va commencer à raison de 2 fois par semaine (ce qui est exceptionnel!). L’orthophoniste me dit que les parents ne voient pas le problème de Rose.

En novembre 2018, l’enseignante de MS me téléphone affolée par l’état de Rose : crises et agressivité envers les autres enfants, réactions violentes imprévisibles, hurle dès qu’il y a une petite frustration. Rose ne comprend pas ce qu’on lui demande en classe et le travail est adapté (à peine un niveau de début de PS). Rose fait des petites phrases mais on a du mal à la comprendre. Elle a besoin d’un adulte pour l’aider et l’accompagner. Une réunion de l’équipe éducative va avoir lieu pour demander une AVS. Les parents donnent leur accord pour que je fasse un examen psychologique afin de constituer le dossier pour la MDPH.

Je vois Rose à l’école, elle a maintenant 5 ans et un mois. Je l’observe en classe et je lui fais passer la WPPSI-4 afin d’évaluer son efficience cognitive.

Rose a l’air perdu, elle ne peut pas répondre à mes questions car elle ne les comprend pas « comment tu t’appelles ? » Rose lève le doigt, sourit mais ne dit pas son prénom, « quel âge tu as ? » Rose me montre ses oreilles… Elle dit des phrases qui ne répondent pas à mes demandes. Devant l’image d’une banane, elle effleure l’image du doigt (comme sur une tablette) en disant « oh c’est beau ! » sans répondre à ma question qui était « comment ça s’appelle ? ». D’une manière générale, Rose montre les images qui lui plaisent « c’est beau ! » sans tenir compte des consignes. Elle ne dessine que des traits ou des ronds. Le bonhomme même têtard n’est pas représenté.

Le QIT est déficitaire. Tous les secteurs du développement cognitif sont touchés que ce soit sur du matériel visuel ou verbal. Le vocabulaire est très pauvre, la compréhension extrêmement faible.

La réunion de l’équipe éducative a lieu en mars 2019. Les parents ont entamé un suivi avec le CMP, la rééducation orthophonique est suspendue car l’orthophoniste est en congé maternité actuellement. La maman pleure beaucoup mais minimise le retard de Rose en disant qu’à la maison elle comprend tout, parle, chante des chansons, enregistre tout ce qu’elle fait à l’école mais que « c’est quand elle a envie ! ». Le papa trouve que sa fille est très intelligente car elle compte en anglais…

Une psycologue scolaire