Théo est né en octobre 2015, il est scolarisé en PS dans un village du Centre.
Début octobre, son enseignante rédige une demande d’aide au RASED (réseau d’aides spécialisées aux élèves en difficulté). Les observations qu’elle relate lui font penser à de l’autisme. Elle a conseillé aux parents de monter un dossier à la MDPH (Maisons Départementales des Personnes Handicapées) pour demander une AVS et une équipe éducative est prévue pour mi-octobre.
Demande d’aide au RASED octobre 2018 :
« Théo court, crie, tape, jette des objets à travers la classe, renverse les caisses de matériel, pousse les tables…. Il ne mobilise pas son attention, n’écoute rien. Il porte tous les objets à sa bouche : matériel de construction, paire de ciseaux, éponge gorgée d’eau, sable… Il ne supporte pas la frustration : il crie, geint, monte sur les chaises et se met en danger. Il se cache dans l’armoire, se met dans les toilettes des adultes dans le noir. Il ne participe pas aux jeux collectifs en salle de motricité. Il semble ne pas ressentir la douleur et refuse de voir l’adulte si il se cogne. Il ne regarde pas dans les yeux et fuit le regard. Il fait de l’écholalie : si on lui dit : « Bonjour Théo», il répond : « Bonjour Théo ».
Il connaît les couleurs, des animaux de la ferme, des animaux sauvages, des outils de bricolage, des prénoms de camarades. Il peut réussir certaines activités en présence de l’adulte ».
Premier entretien avec la maman et Théo, octobre 2018 :
Devant l’urgence de la situation, un rendez-vous psychologique est proposé à la demande de la maman. La maman décrit les difficultés de Théo décrites par l’école et reconnaît qu’il a le même comportement à la maison. La maman s’inquiète beaucoup. Théo tombe beaucoup, il est très actif, ouvre tout le temps les portes, les lumières, casse beaucoup… Théo est le premier et seul enfant du couple. La maman a pris un congé parental jusqu’à l’entrée en PS.
L’accouchement a été difficile par césarienne en urgence. Théo avait le cordon autour du coup mais il n’y a pas eu de souffrance fœtale. Il n’a pas été allaité. Nourri au biberon, il mangeait et se développait bien. Il a refusé les morceaux. Il a marché vers 16 mois, faisait beaucoup de 4 pattes. Bébé, il jouait bien tout seul. A partir du moment où il se met à marcher, il touche à tout, déplace tout, n’écoute pas. A 22 mois, il fait des convulsions et il est hospitalisé une semaine. Il dort bien de 20 h à 7h30. Il est propre le jour mais pas la nuit. L’apprentissage a été long : il a été propre 15 jours avant l’entrée à l’école.
A la maison, il faut tout le temps l’avoir à l’œil. Il monopolise l’adulte. Théo est décrit comme un enfant câlin.
Quand il est puni, il va au coin. La maman dit ne pas céder.
Ce qui le calme ? Les dessins animés. S’il est puni de dessins animés ? Ça lui fait quelque chose mais sans que ça améliore son comportement. Quand les parents regardent les informations il est dans la pièce. La maman dit qu’il n’a pas de tablette et ne prend pas son téléphone. Pendant l’entretien, Théo plonge la main dans le sac de sa mère et en retire le téléphone qu’il allume en un éclair… J’émets l’hypothèse que l’exposition aux écrans est minimisé par la maman.
J’observe Théo avec sa maman et je communique avec lui par le jeu. Il m’apporte des petites voitures et nous jouons ensemble : il prend plaisir à cet échange, émet des sons que je répète en faisant rouler les petites voitures… Je vois que l’on peut entrer en relation avec lui et qu’il prend plaisir à interagir, qu’il est en demande d’interaction avec moi.
J’encourage la maman à beaucoup jouer avec son fils en commentant tout ce qu’elle fait avec lui, de lui lire des histoires, de le promener en mettant des mots sur tout ce qu’ils voient et de réduire drastiquement les écrans. Je lui donne ma fiche de conseils par rapport aux écrans. La maman semble comprendre l’impact des écrans et dit qu’elle va essayer de limiter le plus possible. Je lui demande de ne plus donner son smartphone et de limiter à ½ heure par jour la télévision en privilégiant les DVD adaptés aux jeunes enfants (ex : petit ours brun).
Observation en classe en octobre 2018 :
A l’accueil, Théo pleure quand sa maman part. Il se calme 5/10 minutes après. Les habitudes de classe sont encore étrangères à Théo (rangement, activités, temps de regroupement…). Il circule en classe, la traverse en courant, peut renverser des tiroirs d’activités… Il ne parle pas, ne communique pas, il est isolé par rapport au groupe. L’enseignante est persuadée qu’il est autiste et voudrait que la famille monte un dossier à la MDPH pour demander une AVS. Elle n’arrive pas à gérer Théo qui perturbe tout le groupe classe (PS/MS). L’ATSEM dont le fils est autiste reconnaît les caractéristiques de l’autisme infantile. Je tente de nuancer leur « diagnostic » et d’expliquer comment faire avec Théo en classe pour le gérer.
Entretien avec la maman après l’observation en classe :
Je lui décris le comportement de Théo et commence à lui expliquer que de mon point de vue il n’est sans doute pas autiste. Par contre le retard de développement est important. Je lui réexplique qu’il va falloir beaucoup le stimuler dans des situations de jeux : interactions, langage, communication… La maman me confie qu’elle ne supporte pas que le ménage ne soit pas fait, que Théo touche aux robinets, qu’il joue avec l’eau, le sable, la terre… Elle appelle ces moments : bêtises…Je lui explique qu’il a besoin de faire des expériences et de « découvrir le monde ». Les écrans permettent à cette maman d’éviter que Théo ne fasse ces bêtises. Elle reconnaît que Théo a passé l’été dernier à regarder des vidéos sur les téléphones de toute la famille et des amis pendant les vacances. Je tente de lui expliquer que les enfants ont besoin de toucher à tout pour apprendre, qu’il faut le laisser manipuler, explorer… Mon discours entre en contradiction avec ses propres habitudes et résistances. Je termine en lui demandant de faire avec son fils le maximum de ce que je lui conseille, de continuer à diminuer les écrans et que je reviendrai à l’école un mois plus tard.
Observation en classe de novembre 2018:
Théo parle un peu mieux, il commence à employer le « je » et fait des courtes phrases. Il s’adresse à l’adulte et lui pointe ce qui l’intéresse. Il mémorise bien les noms des dinosaures que la maîtresse lui montre. Il communique mieux, il écoute mieux l’adulte et s’engage plus dans les activités. En salle de motricité, Théo ne respecte pas son tour, il bouscule les enfants, passe d’une activité à une autre, jubile quand il saute de haut, fait des crises quand on l’empêche de faire ce qu’il veut. Attendre et respecter les règles est encore impossible pour lui : il dit : « non ! », se sauve, court… L’enseignante doit lui courir après. Puni sur le banc, il ne reste pas…
L’enseignante dit que c’est encore difficile car il fait beaucoup de bêtises et se sauve de la classe. Elle aimerait qu’il ait un adulte pour lui tout seul (AVS). La PMI est prévue bientôt pour les MS et elle va leur demander de voir Théo exceptionnellement.
Equipe éducative du mois de novembre :
L’enseignante décrit les 5 premières semaines d’école :
– ne respecte pas les règles de la classe,
– renverse les caisses de jouets,
– lance, crie, joue avec l’eau,
– met les mains dans les cuvettes des toilettes, met les brosses à dents des copains dans sa bouche,
– se cache, s’enfuit de la classe,
– met du sable dans sa bouche,
– ne supporte pas d’attendre,
– ne regarde pas dans les yeux et détourne le regard si on force…
Ses réussites : connaît toutes les couleurs, les animaux de la ferme, apprend vite, bonne mémoire, connaît tous les prénoms des copains, connaît les chiffres 3 et 7, écoute de la musique et les chansons. Théo peut travailler et réussir avec la présence de l’adulte.
Il veut rester aux activités extra-scolaires proposées par la Mairie mais pour l’instant il ne peut pas à cause de son comportement.
La Maman explique qu’à la maison il lui est interdit d’ouvrir les robinets car elle a peur qu’il ne se brûle. Elle ne veut pas non plus qu’il joue dans le bain à faire des transvasements car elle craint qu’il n’avale de l’eau savonneuse, elle l’empêche de jouer avec le sable, la terre… La Maman explique qu’il ne comprend pas, « c’est un tout petit » (je comprends que Théo est empêché depuis son plus jeune âge de faire des expériences sur les objets et qu’il est avide de manipuler…).
Je réexplique les besoins des jeunes enfants en terme de jeux, manipulation, expériences sur le réel et réitère mes conseils par rapport aux écrans.
Je fixe une nouvelle date pour observer l’évolution de Théo et maintenir le lien avec la Maman et l’école.
Observation en classe en janvier 2019 :
Quelques jours avant la date fixée, l’enseignante me fait savoir par la directrice qu’il est inutile que je vienne observer Théo car il n’a plus de troubles de comportement. Je maintiens le rendez-vous malgré tout pour me faire une idée des progrès et aussi parce que la Maman a un rendez-vous à l’école après mon observation.
Il ne pleure plus à l’accueil, sourit et prend plaisir à être en classe.
Théo est à une table et trace des lignes sur une feuille à l’aide d’une règle et d’un feutre. Il est tranquille et concentré. Il me parle, les phrases sont apparues, elles sont adaptées. Il communique sans difficulté.
Les progrès sont spectaculaires sur tous les plans: le comportement, le langage, la communication.
L’enseignante m’explique que dernièrement, il a testé sa détermination pour la sieste où il a empêché tous les autres enfants de dormir et aussi pour les ciseaux (il a voulu couper la peau à côté de l’œil d’un copain… Il a été puni et ça a porté ses fruits…
Dans les activités, il montre des capacités de mémorisation incroyables (il ne lui faut qu’une fois pour mémoriser le vocabulaire de l’Antarctique : ours, morses, banquise…). Il semble très intelligent d’après l’enseignante.
Il ne court plus dans la classe, ne crie plus. Il a encore du retard par rapport aux autres enfants de la petite section mais il le rattrape petit à petit.
Il ne joue plus à l’eau comme avant mais va régulièrement vers des jeux où on peut toucher l’eau : nettoyer le miroir avec un pulvérisateur et une raclette, faire de la peinture pour pouvoir nettoyer ensuite le plan de travail avec une éponge et un seau d’eau. Le besoin de toucher l’eau est maintenant sublimé dans des activités socialement (scolairement) adaptées et acceptées en classe.
Au moment du regroupement, il ne s ‘assied pas bien. L’enseignante le menace d’une punition (être privé de vélo à la récréation) qu’il comprend et accepte. Il modifie tout de suite sa position dans le groupe. Les paroles ont maintenant du sens pour Théo et agissent sans qu’on soit obligé de le punir.
Il raconte que mercredi il a joué avec des engins de chantier (jouets). Il écoute les autres enfants et reste sage pendant tout le regroupement.
En salle de motricité, une course de relais est organisée. Théo fait parti du groupe bleu. Il est le deuxième de la file. Il reste à sa place, attend son tour pour attraper le témoin et court le plus vite possible pour revenir tendre le témoin au troisième copain de la file. Il s’assied ensuite comme les autres et attend la fin de la course. Il suit des yeux, applaudit la victoire de son équipe, encourage ses copains, saute de joie.
Il a une attitude totalement adaptée au jeu :
– peut attendre son tour
– accepter la frustration (donne le témoin)
– peut courir dans le bon sens et s’arrêter ensuite
– saute de joie quand son équipe a gagné
A la fin de la matinée, il vient vers moi et touche la poche de ma jupe : « Il est où ton téléphone ? » me demande-t-il, « Je ne l’ai pas… », « Tu n’en as pas pour travailler ? », « non ». Il me regarde d’un air dubitatif…
Je pars de la classe et nous convenons, la maîtresse et moi que je ne programme pas d’autre observation en classe. Je reste, bien sûr, disponible mais la maîtresse est confiante sur les progrès que Théo peut encore faire. Elle me dit être stupéfaite de ce que la surexposition aux écrans chez les petits enfants peut entraîner comme retard de développement (je lui ai transmis des documents et des vidéos pour qu’elle s’informe sur le problème)… Elle convient que Théo n’est pas autiste.
La Maman a repris le travail et ne vient pas au rendez-vous fixé avant les vacances de Noël. Peut-être que devant les progrès de son fils elle n’a pas jugé bon de revenir me voir?
En cette fin d’année scolaire, je n’ai plus entendu parler de cet élève… ce qui est toujours bon signe !
Une psychologue scolaire